Sophie KAO ARYA, artiste franco-thaïlandaise, a grandi, vit et travaille en France. Depuis quelques années, elle multiplie les workshops en Thaïlande.
Ses premières émotions esthétiques lui viennent d’Asie et d’un amour profond pour la nature.
En 2001, elle imagine une technique picturale dynamique qui génère des formes arborescentes de façon simultanée sur la toile et qui explore les formes fractales présentes dans la nature.
Dix ans lui seront nécessaires pour mûrir sa pratique et sa réflexion sur le sujet.
A travers ce procédé inédit, elle développe à la fois une esthétique formelle singulière et une lecture de la nature, fondée sur le principe d’interconnexion et de ramification propre à la figure fractale.
(N)essence d’une chimie moderne
La nature inspire, se vit, bouleverse, interroge, fascine. Elle se retrouve au cœur de nos vies et de nos actes. L’humain tente de la contenir, de la conquérir. En vain. Elle reste insaisissable. Les disciplines artistiques la représentent sous toutes ses formes. Elle devient alors peinture, sculpture, photo, installation vidéo et sonore. Les artistes interagissent avec elle depuis des siècles. Au XXIe siècle, ils s’en emparent autrement, rappelant l’urgence à la préserver. Le socle sur lequel elle repose se fissure comme une terre asséchée et craquelée dans le désert, fragilisée par tant d’évolutions climatiques.
Vivant / non vivant
Mon travail se conjugue au présent. Il participe à l’observation d’une époque, d’une société en mutation. La nature y est omniprésente. L’eau, fantastique dans toutes ses déclinaisons, s’impose comme un élément clé dans ma vision holistique de la nature. Elle fait corps avec la cime d’une montagne, les côtés découpées de l’océan, un cristal de neige, un grain de sable. Je fais partie de cet ensemble cosmique. J’accueille cette place comme il se doit. Notre monde urbanisé devient de plus en plus déconnecté du vivant et de la matière. Cet état m’inspire et me préoccupe à la fois.
Ma pratique picturale est aujourd’hui unique. Ma démarche interroge l’inerte et l’animé, l’artifice et le vivant à travers un processus chimique de recréation artificielle du vivant. Le « non-vivant », correspond au résultat du processus, lorsque la forme fractale finit par se figer après s’être déployée. Le « vivant » s’apparente à la réaction chimique, ou le processus de propagation. Il est dynamique et s’auto-organise dans une combinaison de formes fractales. Le « jardin chimique », évoqué par le physicien et médecin, Stéphane Leduc en 1906, correspond au tableau en devenir. Il s’apparente au travail de l’artiste contemporain franco-marocain Hicham Berrada autour de la transformation chimique des éléments.
Sur mes toiles, chaque goutte d’encre chemine tranquillement, laisse des traces plus ou moins visibles, crée des formes plus ou moins distinctes. Le regard se pose sur de délicates membranes cellulaires qui se répètent, sans cadre, à l’infini. Vers l’infini. Ce concentré d’énergies circule sur la toile, serpente sur la texture du support choisi. Les lignes organiques naissent, cherchent et prennent leur place de manière aléatoire pour grandir et se répandre. L’œuvre apparaît. Reste à patienter, à observer la mise en forme après le séchage de la peinture.
L’utilisation de l’encre ce n’est pas un hasard, le medium est même venu à moi après avoir multiplier les expériences. Depuis l’enfance, les estampes aimantent mon regard. Mes origines thaïlandaises et chinoises, mon intérêt pour l’esthétique japonaise y sont pour beaucoup. A cela s’ajoute un rapport à l’espace-temps très contemporain. La fluidité de l’encre et sa propagation instantanée sur la toile m’évoquent Internet et la rapidité avec laquelle les images et l’information y sont diffusées. Elles se dispersent comme la matière que j’utilise.
Certains l’apparentent à l’art fractal. Ce qu’elle n’est pas. L’informaticien Benoît Mandelbrot s’est intéressé, dans les années 1970 à la forme géométrique fractale, aux objets mathématiques. Il a beaucoup étudié le rapport entre marche aléatoire, mouvement brownien et fractale. Un moyen nouveau de décrire la formation de géométries naturelles comme celle d’une simple pierre exposée à l’oxyde de manganèse dans la nature. La molécule d’oxyde de manganèse se « promène » au hasard sur la surface plane et fluide de la pierre. Quelques molécules sont fixées dès le départ de façon aléatoire aux bords de la pierre. Dès qu’une autre molécule en rencontre une déjà fixée, elle se fixe à son tour à celle-ci et ainsi de suite. On pourrait modéliser ce processus par des « pièges » qui « attrapent » des objets se déplaçant de façon aléatoire depuis une origine, et qui deviennent pièges à leur tour une fois attrapés.
Dans l’histoire de l’art, la passerelle entre perspective et nombre d’or a toujoursexisté. Les artistes aujourd’hui utilisent l’intelligence artificielle, ils s’imprègnent del’air du temps. Dans « Universalités et fractales » (1997), le physicien BernardSapoval découvre l’universalité des fractales en comparant des structures géométriques, qui sont en fait des objets fractals, obtenus dans des conditionsnaturelles complètement différentes telles qu’un dépôt électrolytique sous champ fort, une injection à grande vitesse d’un fluide peu visqueux dans un fluide très visqueux,une injection d’eau dans du plâtre, une croissance de colonie bactérienne, unephotographie d’une décharge électrique à la surface d’une plaque de verre, un angiogramme de la rétine humaine, un dépôt spontané d’argent à partir d’une solution de nitrate d’argent sur un disque de cuivre placé au centre, une arborescence de cuivre, etc… Ces objets fractals sont obtenus dans des conditions naturelles, ils sont issus d’expériences chimiques et physiques, à la différence des objets fractals issus des mathématiques purs (géométrie). La chimie permet d’identifier les substances qui composent la matière. Elle étudie ses transformations. La physique étudie les mécanismes naturels de la matière, ses déplacements, (mouvements, électricité, fission…). La physico-chimie est une sous discipline de la physique qui s’intéresse à la nature physique de la chimie, la dynamique des molécules ou l’aspect quantique des réactions chimiques. La cinétique-chimique étude de l’évolution dans le temps des systèmes chimiques. Car, lors d’une réaction chimique, le passage d’un état initial à un état final ne se fait pas instantanément. Le phénomène de hasard régit la formation des fractales dans la nature. Les arbres ont tous des caractéristiques communes, leur forme géométrique se ressemblent, et pourtant, même au sein d’une même espèce, chaque arbre estunique. Cette différence est attribuable au hasard, c’est à dire les processus non contrôlés de leur développement (ou tout au moins, tellement complexes que nous n’y avons pas accès). Le rôle du hasard dans la formation des objets de la nature joue un rôle capital, c’est lui qui différencie les fractales aléatoires de la nature et l’objet mathématique pur. On entend par hasard, l’ensemble des processus qu’on ne peut pas contrôler et qui interviennent dans la formation de l’objet fractal : l’érosion, la tectonique des plaques, les contraintes naturelles…
La fractalité s’intègre dans l’art mais pas encore dans l’histoire de l’art.
La découverte du manifeste La fractalité dans l’art contemporain, de Susan Condé, en 2000, nourrit cette certitude. L’écrivaine et critique d’art joue un rôle majeur dans la compréhension de ce courant. Elle raconte, au fil des pages de son livre, les concepts de fractalité dans la peinture et l’architecture, liés au chaos, à la complexité, à la réitération de la forme. La pertinence de ses écrits et de ses recherches, la richesse des exemples cités en font un ouvrage remarquable sur ce sujet peu exploré. Je n’ai pas retrouvé ce qui me définit. Ma technique se situe à la croisée des chemins entre deux disciplines : le procédé chimique à l’origine de formes fractales sur un support plan et l’art pictural classique.
Process de création
Le fait d’être autodidacte me sert considérablement. L’absence de formation classique permet de chercher et d’expérimenter toutes les techniques. Plusieurs artistes m’inspirent : Pollock pour la coulure, Van Gogh pour le geste, Joan Mitchel pour l’énergie très forte qu’elle met dans ses toiles. Selon Deleuze, dans son livre Sur la peinture, il existe une prise de risque quand la main est plus rapide de l’œil. Avec une telle démarche, l’artiste se retrouve dans un chaos dont la limite est le raté. Le chaos est une notion importante dans la fractalité. Plus récemment, Perry Hall m’a fasciné avec ses vidéos exposées à Beaubourg et j’ai vu alors des passerelles entre son travail et le mien. Fabienne Verdier donne une lecture plus contemporaine de la calligraphie avec un geste qui accompagne le geste, c’est très inspirant.
Au fil de mes tentatives, j’ai découvert cette possibilité de dispersion fractale en faisant des mélanges. Ce rendu m’a interpellé, je me suis arrêté et l’ai considéré comme un heureux hasard, une chimie fructueuse. Pour maîtriser ce procédé chimique, il a fallu du temps. Un an entre le premier essai et la première toile. Il repose sur le mélange d’encres et de liants acryliques à de l’eau. La surface doit être plane, qu’elle soit en papier ou Plexiglas, sans limite. Le stylet, souvent utilisé dans la calligraphie, devient le prolongement de ma main. Cet outil convient idéalement à la minutie du geste. J’ai ensuite essayé des pipettes et travaillé aussi sans outil. En fonction des outils et du geste, le résultat est différent. La palette de couleurs évolue au fil de ma recherche, cela se joue dans une harmonie d’ensemble. Sur un petit format de 40 x 40 cm, je privilégie une seule couleur – un bleu, un vert ou un rouge – pour la mettre en valeur (le travail sur les petits formats permet de circonscrire laforme fractale dans un effet de zoom grossissant) .Sur de très grands formats, je mélange les teintes. Pour l’exposition de Venise, l’idée de représenter les éléments s’est traduite par les bleus/verts, le rouge pour le feu, le jaune et l’ocre pour la terre, des bleus vert-gris pour l’espace. Les dominantes s’affinent. Toutes les couleurs m’intéressent, y compris le noir qui n’en est pas une. L’encre noire marque alors un parti pris très fort, une orientation bien ciblée, évoquant souvent l’histoire de la calligraphie. En plus de cette technique, j’utilise des perles liquides, plus ou moins solides, qui se transforment en de petites perles en séchant et permettent de structurer l’espace…
Une succession de forme fractale peut générer une ligne et pour lui apporter plus de relief, ces points ajoutent du volume. En géométrie, une droite est composée de points alignés. Parallèlement, j’ai mis au point une mousse, telle une écume, à partir d’une émulsion chimique. A travers mes recherches de matériaux, je me suis rendu compte que cette mousse pouvait sécher. Je travaille également les glacis, une couche transparente sur laquelle ajouter des éléments en superposition. La céramique comme support m’intéresse beaucoup. Si j’arrive à rendre pérenne ma technique sur la céramique, mes œuvres seraient exposées de manière permanente. Le verre aussi. La technicité m’intéresse car la recherche plastique est le procédé qui fait l’originalité de mon travail. Mais au-delà, c’est concomitant avec la philosophie que tu portes. Les artistes qui n’ont que le process, en vidéo, par exemple, il reste des films, des photos de captures d’écran mais pas d’implication de la main et du corps. Cela devient plus cérébral, cela reste mental. Or, j’ai besoin du lien sensitif.
Expositions personnelles
2024 - Exposition aéroport de Marco Polo durant la biennale de Venise
2023 - Galerie éphémère Ten Arts - Venise, Italie
2018 - Résidence artistique Instinc - Singapour
2017 - Résidence de France - Marrakech, Maroc
2016 - Galerie Seescape - Chiang Mai, Thaïlande
Expositions collectives
2019 - Festival d’art contemporain de Montreux, Montreux, Suisse
2019 - Festival international des jardins - Lauréate des Jardins créatifs - Chaumont-sur-Loire
2018 - Galerie Seescape - Chiang Mai - Thaïlande
2018 - Domaine National de Saint-Cloud, Saint-Cloud, France
2017 - YIA Art Fair, Carreau du Temple - Paris, France
2016 - The Ratchaprasong Art Maze, Urban by Nature - Bangkok, Thaïlande
2015 - Foire d’art contemporain - Zurich, Suisse